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Nom du blog :
confesse
Description du blog :
Nouvelles, Juin 2008
Catégorie :
Blog Religion
Date de création :
21.06.2008
Dernière mise à jour :
10.07.2008

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Ariane : Rue des Bougainvilliers

Ariane : Rue des Bougainvilliers

Publié le 24/06/2008 à 12:00 par confesse
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Rue des Bougainvilliers

Leila a 9 ans, enfin non, elle aura 9 ans dans un mois et 4 jours – le 21 septembre exactement. Leila a 9 ans, est petite et bien trop maigre. Ses yeux noirs inondent son visage chiffonné. Elle marche la tête haute et ne répond jamais aux questions qu’on lui pose. Dans ses prunelles de braise, il n’y a plus d’étincelle. Dans sa tête, il y a comme une petite musique éteinte.
Leila a 9 ans, n’a jamais cru au père Noël, même pas quand elle était petite, ne croit pas à Dieu et à toutes ces foutaises - d’ailleurs elle n’y comprend rien - et pas aux contes de fées qu’on ne lui a de toutes façons jamais racontés.
Chaque jour, en même temps que son cartable, elle porte sur son dos le poids de ces années d’enfance tronquées, escamotées, grignotées à petit feu, toutes ces années volées.
Certains soirs, Leila s’assoit sur le banc, face à l’immeuble ou elle vit maintenant avec ces gens qui ne sont rien d’autre que des étrangers qu’elle n’aime pas et qui ne l’aiment pas.

En hiver, lorsque la nuit tombe tôt, elle lève les yeux sur les fenêtres et, derrière les rideaux tirés, compte scrupuleusement les lumières qui l’une après l’autre trouent le crépuscule naissant. Elle imagine ces instants de vie suspendus qui ne sont pas les siens, ombres chinoises fugaces qui passent et repassent derrière les fenêtres éclairées, avant de disparaître. L’éclat de rire d’un bébé, les devoirs terminés sur un coin de table, l’odeur d’une mousse au chocolat dans la cuisine, une femme qui sourit. Elle en écrit l’histoire renouvelée chaque soir.
L’été, elle observe de loin les filles qui jouent à la marelle en se concentrant pour atteindre le ciel, entend les garçons se chamailler et les freins des vélos crisser. Elle pense souvent à la mer qu’elle n’a jamais vue sauf dans des magazines glacés dont elle découpe les photos. Elle les colle dans ses cahiers et à côté de son lit. Elle voudrait sentir l’odeur des algues et entendre le bruit du ressac.
Souvent de jolies dames qui tiennent des enfants par la main lui sourient en passant. Leila ne les regarde pas. Plus tard, allongée sur son lit, la petite lampe rose restée allumée, elle se répète comme une litanie qu’un jour elle le trouvera ce monde qu’elle redessine sans cesse, ce monde inconnu à peine esquissé dont elle ne parle à personne. Un jour, elle le prendra ce train qui mène à l’océan et demandera aux vagues d’emporter en même temps que la marée tous ces souvenirs d’avant. Alors elle pourra seulement s’en inventer de plus beaux.

Avant, c’est la cité où Leila est née, au fin fond d’une banlieue grise, le bac à sable où elle faisait semblant de jouer pour tenter de survivre, l’appartement au 10e étage « Cité des Fleurs », «Rue des Bougainvilliers », l’ascenseur toujours en panne couvert de graffitis. Leila n’a jamais vu non plus de bougainvilliers même dans les magazines.
Chez elle c’était toujours sombre, les portes ne fermaient pas, les volets restaient clos été comme hiver, nuit et jour. Il y avait des chiens et des chats, des odeurs d’urine et de mauvais vin, du linge sale sur les chaises bancales et des caddy dans l’entrée ou s’accumulaient des vêtements, mélangés les uns aux autres.
Leila n’a jamais joué à la poupée, n’a jamais soufflé une bougie d’anniversaire, n’a jamais vu la mer ni les bougainvilliers et n’allait à l’école que lorsque sa mère le matin pouvait se lever pour l’y accompagner.
Quand sa sœur est née, peu de temps avant tout cela, elle la prenait dans son lit chaque nuit, l’enveloppait dans une vielle couverture jaune et s’endormait en la serrant contre elle, son pouce dans la bouche.
Leila vivait dans la crainte du regard éternellement vide de sa mère, des pas lourds de son père lorsqu’il arpentait le couloir, de son souffle rauque dans ses cheveux et de sa voix tonitruante.

Et puis un jour, une grande salle pleine de boiseries et, derrière un bureau digne d’un ministère envahi de dossiers de toutes les couleurs, une femme, cheveux tirés et lunettes au bout du nez, l’air un peu sévère, et au-dessus d’elle, le portrait gigantesque du président de la république en costume sombre.
La mère de Leila est assise face à la femme, le bébé dans les bras qu’elle paraît étouffer, le regard perdu dans un ailleurs qu’elle seule peut encore attraper. Debout, le bras posé sur un fauteuil immense, Leila la tête baissée fixe ses chaussures usées. Elle a peur et respire difficilement.
Le juge est en civil, dans une salle d’audience d’un tribunal pour enfants. Elle se met à lire lentement tous ces mots consignés dans les documents qu’elle a sous les yeux, rangés les uns derrière les autres dans un dossier vert immatriculé sous le numéro 97243, ces mots qui condamnent la femme assise là, la femme au regard vide.
Leila, qui ne fait que fixer le bout de ses chaussures, a révélé à une oreille attentive les actes de son père, de ce genre d’actes qui bousillent la vie d’un enfant, qui exterminent le rêve. Leila a brisé le silence. Elle entend des mots fuser sans les comprendre. Sa mère n’a rien vu, rien voulu voir, rien entendu, n’a pas cillé, n’a pas bougé, a laissé l’impensable se produire. Le juge assène les mots, l’un après l’autre d’une voix sèche et sans compassion, avec un drôle de rictus au coin de la bouche, en levant parfois les yeux au dessus de ses lunettes «crime devant la loi..., maltraitance…, enfants en danger…, incarcération…, prison…, séparation…, interdit…, et tout revient en écho dans la tête de Leila : interdit, interdiction, crime devant la loi, séparation, prison. Sur le fauteuil devant elle, le même regard de celle que, malgré tout, elle continue d’aimer. C’est sa mère. Alors Leila lui prend la main et la serre dans la sienne.
Le regard du juge se voile, les mots qu’elle prononce deviennent presque inaudibles. La greffière tape scrupuleusement ce qu’elle entend, elle a le dos tourné. La mère ne bouge pas et le bébé dort. Le juge se tourne vers Leila avec un sourire contrit, murmure quelque chose que l’enfant ne comprend pas. Elle ferme le dossier d’un geste précis et le remet au-dessus des autres, sur la pile de droite. Le téléphone sonne, mais elle ne répond pas. Elle se racle la gorge. Elle s’adresse alors à la mère d’une voix calme et posée et lui demande de remettre immédiatement le bébé ainsi que la fillette aux autorités compétentes, au moment où deux hommes en uniforme font irruption dans la salle d’audience.

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